sabato 22 settembre 2012

Donatien Alphonse François de Sade, La Philosophie dans le boudoir






La Philosophie dans le boudoir,
ou
Les Instituteurs immoraux
Dialogues destinés à l’éducation des jeunes Demoiselles

Première édition  : 1795


Voilà, ma chère Eugénie, comme raisonnent ces gens-là, et moi j’y ajoute, d’après mon expérience et mes études, que la cruauté, bien loin d’être un vice, est le premier sentiment qu’imprime en nous la nature. L’enfant brise son hochet, mord le téton de sa nourrice, étrangle son oiseau, bien avant que d’avoir l’âge de raison. La cruauté est empreinte dans les animaux, chez lesquels, ainsi que je crois vous l’avoir dit, les lois de la nature se lisent bien plus énergiquement que chez nous ; elle est chez les sauvages bien plus rapprochée de la nature que chez l’homme civilisé : il serait donc absurde d’établir qu’elle est une suite de la dépravation. Ce système est faux, je le répète. La cruauté est dans la nature ; nous naissons tous avec une dose de cruauté que la seule éducation modifie ; mais l’éducation n’est pas dans la nature, elle nuit autant aux effets sacrés de la nature que la culture nuit aux arbres. Comparez dans vos vergers l’arbre abandonné aux soins de la nature, avec celui que votre art soigne en le contraignant, et vous verrez lequel est le plus beau, vous éprouverez lequel vous donnera de meilleurs fruits. La cruauté n’est autre chose que l’énergie de l’homme que la civilisation n’a point encore corrompue : elle est donc une vertu et non pas un vice. Retranchez vos lois, vos punitions, vos usages, et la cruauté n’aura plus d’effets dangereux, puisqu’elle n’agira jamais sans pouvoir être aussitôt repoussée par les mêmes voies ; c’est dans l’état de civilisation qu’elle est dangereuse, parce que l’être lésé manque presque toujours, ou de la force, ou des moyens de repousser l’injure ; mais dans l’état d’incivilisation, si elle agit sur le fort, elle sera repoussée par lui, et si elle agit sur le faible, ne lésant qu’un être qui cède au fort par les lois de la nature, elle n’a pas le moindre inconvénient.
Nous n’analyserons point la cruauté dans les plaisirs lubriques chez les hommes ; vous voyez à peu près, Eugénie, les différents excès où ils doivent porter, et votre ardente imagination doit vous faire aisément comprendre que, dans une âme ferme et stoïque, ils ne doivent point avoir de bornes. Néron, Tibère, Héliogabale immolaient des enfants pour se faire bander ; le maréchal de Retz, Charolais, l’oncle de Condé, commirent aussi des meurtres de débauche : le premier avoua dans son interrogatoire qu’il ne connaissait pas de volupté plus puissante que celle qu’il retirait du supplice infligé par son aumônier et lui sur de jeunes enfants des deux sexes. On en trouva sept ou huit cents d’immolés dans un de ses châteaux de Bretagne. Tout cela se conçoit, je viens de vous le prouver. Notre constitution, nos organes, le cours des liqueurs, l’énergie des esprits animaux, voilà les causes physiques qui font, dans la même heure, ou des Titus ou des Néron, des Messaline ou des Chantal ; il ne faut pas plus s’enorgueillir de la vertu que se repentir du vice, pas plus accuser la nature de nous avoir fait naître bon que de nous avoir créé scélérat ; elle a agi d’après ses vues, ses plans et ses besoins : soumettons-nous.

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