Théophile
Gautier, Une nuit de Cléopâtre
(
1845 )
Cléopâtre
ne s’endormit que le matin, à l’heure où rentrent les songes
envolés
par
la porte d’ivoire. L’illusion du sommeil lui fit voir toute sorte
d’amants se jetant
à
la nage, escaladant les murs pour arriver jusqu’à elle, et,
souvenir de la veille, ses
rêves
étaient criblés de flèches chargées de déclarations amoureuses.
Ses petits
talons
agités de tressaillements nerveux frappaient la poitrine de
Charmion, couchée
en
travers du lit pour lui servir de coussin.
Lorsqu’elle
s’éveilla, un gai rayon jouait dans le rideau de la fenêtre dont
il
trouait
la trame de mille points lumineux, et venait familièrement jusque
sur le
lit
voltiger comme un papillon d’or autour de ses belles épaules qu’il
effleurait en
passant
d’un baiser lumineux. Heureux rayon que les dieux eussent envié !
Cléopâtre
demanda à se lever d’une voix mourante comme un enfant malade ;
deux
de ses femmes l’enlevèrent dans leurs bras et la posèrent
précieusement à
terre,
sur une grande peau de tigre dont les ongles étaient d’or et les
yeux d’escarboucles.
Charmion
l’enveloppa d’une calasiris de lin plus blanche que le lait,
lui
entoura les cheveux d’une résille de fils d’argent, et lui plaça
les pieds dans
des
tatbebs de liège sur la semelle desquels, en signe demépris, l’on
avait dessiné
deux
figures grotesques représentant deux hommes des races Nahasi et
Nahmou,
les
mains et les pieds liés, en sorte que Cléopâtre méritait
littéralement l’épithète
de
conculcatrice des peuples, que lui donnent les cartouches royaux.
C’était
l’heure du bain. Cléopâtre s’y rendit avec ses femmes.
Les
bains de Cléopâtre étaient bâtis dans de vastes jardins remplis
de mimosas,
de
caroubiers, d’aloès, de citronniers, de pommiers persiques, dont
la fraîcheur
luxuriante
faisait un délicieux contraste avec l’aridité des environs ;
d’immenses
terrasses
soutenaient des massifs de verdure et faisaient monter les fleurs
jusqu’au
ciel par de gigantesques escaliers de granit rosé ; des vases de
marbre
pentélique
s’épanouissaient comme de grands lis au bord de chaque rampe, et
les
plantes qu’ils contenaient ne semblaient que leurs pistils ; des
chimères caressées
par
le ciseau des plus habiles sculpteurs grecs, et d’une physionomie
moins
rébarbative
que les sphinx égyptiens avec leur mine renfrognée et leur attitude
morose,
étaient couchées mollement sur le gazon tout piqué de fleurs,
comme
de
sveltes levrettes blanches sur un tapis de salon : c’étaient de
charmantes figures
de
femme, le nez droit, le front uni, la bouche petite, les bras
délicatement
potelés,
la gorge ronde et pure, avec des boucles d’oreilles, des colliers
et des
ajustements
d’un caprice adorable, se bifurquant en queue de poisson comme la
femme
dont parle Horace, se déployant en aile d’oiseau, s’arrondissant
en croupe
de
lionne, se contournant en volute de feuillage, selon la fantaisie de
l’artiste ou
les
convenances de la position architecturale ? une double rangée de ces
délicieux
monstres
bordait l’allée qui conduisait du palais à la salle.
Au
bout de cette allée, on trouvait un large bassin avec quatre
escaliers de porphyre
;
à travers la transparence de l’eau diamantée on voyait les
marches descendre
jusqu’au
fond sablé de poudre d’or ; des femmes terminées en gaine comme
des
cariatides faisaient jaillir de leurs mamelles un filet d’eau
parfumée qui retombait
dans
le bassin en rosée d’argent, et en picotait le clair miroir de ses
gouttelettes
grésillantes.
Outre cet emploi, ces cariatides avaient encore celui de porter
sur
leur tête un entablement orné de néréides et de tritons en
bas-relief et muni
d’anneaux
de bronze pour attacher les cordes de soie du vélarium. Au delà du
portique
l’on apercevait des verdures humides et bleuâtres, des fraîcheurs
ombreuses,
un
morceau de la vallée de Tempe transporté en Egypte. Les fameux
jardins
de
Sémiramis n’étaient rien auprès de cela.
Nous
ne parlerons pus de sept ou huit autres salles de différentes
températures,
avec
leur vapeur chaude ou froide, leurs boîtes de parfums, leurs
cosmétiques,
leurs
huiles, leurs pierres ponces, leurs gantelets de crin, et tous les
raffinements
de
l’art balnéatoire antique poussé à un si haut degré de volupté
et de raffinement.
Cléopâtre
arriva, la main sur l’épaule de Charmion ; elle avait fait au
moins
trente
pas toute seule ! grand effort ! fatigue énorme! Un léger nuage
rosé, se répandant sous la peau transparente de ses joues, en
rafraîchissait la pâleur passionnée ; ses tempes blondes comme
l’ambre laissaient voir un réseau de veines bleues ; son front
uni, peu élevé comme les fronts antiques, mais d’une rondeur et
d’une forme parfaites, s’unissait par une ligne irréprochable à
un nez sévère et
droit,
en façon de camée, coupé de narines rosés et palpitantes à la
moindre émotion,
comme
les naseaux d’une tigresse amoureuse ; la bouche petite, ronde,
très
rapprochée
du nez, avait la lèvre dédaigneusement arquée ; mais une volupté
effrénée, une ardeur de vie incroyable rayonnait dans le rouge
éclat et dans le lustre humide de la lèvre inférieure. Ses yeux
avaient des paupières étroites, des sourcils minces et presque sans
inflexion. Nous n’essayerons pas d’en donner une idée ; c’était
un feu, une langueur, une limpidité étincelante à faire tourner la
tête de chien d’Anubis lui-même; chaque regard de ses yeux était
un poème supérieur à ceux d’Homère ou de Mimnerme; un menton
impérial, plein de force et de domination, terminait dignement ce
charmant profil.
Elle
se tenait debout sur la première marche du bassin, dans une attitude
pleine
de
grâce et de fierté ; légèrement cambrée en arrière, le pied
suspendu comme une
déesse
qui va quitter son piédestal et dont le regard est encore au ciel ;
deux plis
superbes
partaient des pointes de sa gorge et filaient d’un seul jet jusqu’à
terre.
Cléomène,
s’il eût été son contemporain et s’il eût pu la voir, aurait
brisé sa Vénus
de
dépit.
Lucano,
Pharsalia, X, 111 e sg ( il lusso degli appartamenti della regina ) :
pax
ubi parta ducis donisque ingentibus empta est,
excepere epulae
tantarum gaudia rerum,
explicuitque suos magno Cleopatra
tumultu
nondum translatos Romana in saecula
luxus. 110
ipse
locus templi, quod uix corruptior aetas
extruat, instar erat,
laqueataque tecta ferebant
diuitias crassumque trabes absconderat
aurum.
nec summis crustata domus sectisque nitebat
marmoribus,
stabatque sibi non segnis achates 115
purpureusque
lapis, totaque effusus in aula
calcabatur onyx; hebenus Mareotica
uastos
non operit postes sed stat pro robore uili,
auxilium non
forma domus. ebur atria uestit,
et suffecta manu foribus
testudinis Indae 120
terga
sedent, crebro maculas distincta zmaragdo.
fulget gemma toris, et
iaspide fulua supellex
<stat mensas onerans, uariaque triclinia
ueste> 122a
strata
micant, Tyrio cuius pars maxima fuco
cocta diu uirus non uno duxit
aeno,
pars auro plumata nitet, pars ignea
cocco, 125
ut
mos est Phariis miscendi licia telis.
tum famulae numerus turbae
populusque minister.
discolor hos sanguis, alios distinxerat
aetas;
haec Libycos, pars tam flauos gerit altera crines
ut
nullis Caesar Rheni se dicat in aruis 130
tam
rutilas uidisse comas; pars sanguinis usti
torta caput refugosque
gerens a fronte capillos;
nec non infelix ferro mollita
iuuentus
atque exsecta uirum: stat contra fortior aetas
uix
ulla fuscante tamen lanugine
malas. 135
discubuere
illic reges maiorque potestas
Caesar; et inmodice formam fucata
nocentem,
nec sceptris contenta suis nec fratre marito,
plena
maris rubri spoliis, colloque comisque
diuitias Cleopatra gerit
cultuque laborat. 140
candida
Sidonio perlucent pectora filo,
quod Nilotis acus conpressum
pectine Serum
soluit et extenso laxauit stamina uelo.
dentibus
hic niueis sectos Atlantide silua
inposuere orbes, quales ad
Caesaris ora 145
nec
capto uenere Iuba. pro caecus et amens
ambitione furor, ciuilia
bella gerenti
diuitias aperire suas, incendere mentem
hospitis
armati. non sit licet ille nefando
Marte paratus opes mundi
quaesisse ruina; 150
pone
duces priscos et nomina pauperis aeui
Fabricios Curiosque graues,
hic ille recumbat
sordidus Etruscis abductus consul
aratris:
optabit patriae talem duxisse triumphum.
infudere
epulas auro, quod terra, quod aer, 155
quod
pelagus Nilusque dedit, quod luxus inani
ambitione furens toto
quaesiuit in orbe
non mandante fame; multas uolucresque
ferasque
Aegypti posuere deos, manibusque ministrat
Niliacas
crystallos aquas, gemmaeque capaces 160
excepere
merum, sed non Mareotidos uuae,
nobile sed paucis senium cui
contulit annis
indomitum Meroe cogens spumare Falernum.
accipiunt
sertas nardo florente coronas
et numquam fugiente rosa, multumque
madenti 165
infudere
comae quod nondum euanuit aura
cinnamon externa nec perdidit aera
terrae,
aduectumque recens uicinae messis amomon.
discit opes
Caesar spoliati perdere mundi
et gessisse pudet genero cum paupere
bellum 170
…
Shakespeare,
Antonio e Cleopatra
Atto
II, scena II
ENOBARBO: Vi
dirò. La barca in cui sedeva simile a un trono brunito splendeva
sull'acqua: la poppa era d'oro battuto: le vele di porpora e così
profumate che i venti languivano d'amore per esse; i remi erano
d'argento e si abbassavano ritmicamente al suono dei flauti
obbligando l'acqua che essi colpivano a seguirli più rapida quasi
fosse innamorata delle loro percosse. In quanto alla sua persona
rendeva meschina ogni descrizione: ella giaceva sotto la sua tenda di
drappo d'oro tessuto offuscando quella Venere in cui vediamo
l'immaginazione superare la natura: da entrambi i lati le stavano dei
graziosi bambini paffuti come sorridenti amorini con flabelli
versicolori la cui brezza pareva infiammare le delicate guance che
essi rinfrescavano facendo ciò che essi disfacevano.
AGRIPPA: Oh
mirabile spettacolo per Antonio!
ENOBARBO: Le sue
donzelle simili a Nereidi o sirene le si affaccendavano d'attorno e
nell'atto d'inchinarla l'adornavano; al timone governava una
dall'aspetto di sirena; il serico sartiame si tendeva sotto il tocco
di quelle mani delicate come fiori che celermente accudivano al loro
ufficio. Dalla barca uno strano e sottile profumo si spandeva a
colpire i sensi delle vicine sponde. La città riversava il suo
popolo verso di lei e Antonio troneggiante sulla piazza del mercato
rimase seduto solo solo zufolando all'aria; la quale se il vuoto
fosse stato cosa possibile sarebbe andata anch'essa a contemplare
Cleopatra lasciando una lacuna nella natura.
AGRIPPA: Mirabile
Egiziana!
Domitius
Enobarus. I
will tell you.
The barge she sat in, like a burnish'd throne,
Burn'd on the water: the poop was beaten gold;
Purple the
sails, and so perfumed that
The winds were love-sick with them;
the oars were silver,
Which to the tune of flutes kept stroke,
and made
The water which they beat to follow faster,
As
amorous of their strokes. For her own person,
It beggar'd all
description: she did lie
In her pavilion—cloth-of-gold of
tissue—
O'er-picturing that Venus where we see
The fancy
outwork nature: on each side her
Stood pretty dimpled boys, like
smiling Cupids,
With divers-colour'd fans, whose wind did seem
To glow the delicate cheeks which they did cool,
And what
they undid did.
Agrippa.
O,
rare for Antony!
Domitius
Enobarus. Her
gentlewomen, like the Nereides,
So many mermaids, tended her i'
the eyes,
And made their bends adornings: at the helm
A
seeming mermaid steers: the silken tackle
Swell with the touches
of those flower-soft hands,
That yarely frame the office. From
the barge
A strange invisible perfume hits the sense
Of the
adjacent wharfs. The city cast
Her people out upon her; and
Antony,
Enthroned i' the market-place, did sit alone,
Whistling
to the air; which, but for vacancy,
Had gone to gaze on Cleopatra
too,
And made a gap in nature.
Agrippa.
Rare
Egyptian!
Vedi,
come fonte di Shakespeare, Plutarco, “ Vita di Antonio “, cap.
26.