J. K. Huysmans Là-bas Paris, Garnier-Flammarion, 1978
( 1891 )
Il romanzo ha come nucleo centrale la storia di Gilles de Rais, sadico barone del Medio Evo dedito al satanismo, e l’occultismo moderno.
( Cap. IV )
Il semble surtout que la passion de l’alchimie l’ait entièrement dominé et qu’il ait tout abandonné pour elle. Car il est à remarquer que cette science qui le jeta dans la démonomanie, alors qu’il espéra créer de l’or et se sauver ainsi d’une misère qu’il voyait poindre, il l’aima, pour elle-même, dans un temps où il était riche. Ce fut, en effet, vers l’année 1426, au moment où l’argent déferlait dans ses coffres, qu’il tenta, pour la première fois, la réussite du grand oeuvre.
Nous le retrouvons donc, penché sur des cornues, dans le château de Tiffauges. J’en suis là, et c’est maintenant que va commencer la série des crimes de magie et de sadisme meurtrier que je veux faire.
— Mais tout cela n’explique pas, dit des Hermies, comment d’homme pieux, il devint soudain satanique, d’homme érudit et placide, violeur de petits enfants, égorgeur de garçons et de filles.
— Je te l’ai déjà dit, les documents manquent pour relier les deux parties de cette vie si bizarrement tranchée ; mais par tout ce que je viens de te narrer, tu peux déjà décider, je crois, bien des fils. Précisons, si tu veux. Cet homme était, je l’ai tout à l’heure noté, un vrai mystique. Il a vu les plus extraordinaires événements que l’histoire ait jamais montrés. La fréquentation de Jeanne d’Arc a certainement suraiguisé ses élans vers Dieu. Or, du mysticisme exalté au satanisme exaspéré, il n’y a qu’un pas. Dans l’au-delà, tout se touche. Il a transporté la furie des prières dans le territoire des à rebours. En cela, il fut poussé, déterminé par cette troupe de prêtres sacrilèges, de manieurs de métaux et d’évocateurs de démons qui l’entourèrent à Tiffauges.
— De sorte que ce serait la Pucelle qui aurait décidé les forfaits de Gilles ?
— Oui, jusqu’à un certain point, si l’on considère qu’elle attisa une âme sans mesure, prête à tout, aussi bien à des orgies de sainteté qu’à des outrances de crimes.
Puis, il n’y eut pas de transition ; aussitôt que Jeanne fut morte, il tomba entre les mains des sorciers qui étaient les plus exquis des scélérats et les plus sagaces des lettrés. Ces gens qui le fréquentèrent à Tiffauges étaient des latinistes fervents, des causeurs prodigieux, possesseurs des arcanes oubliés, détenteurs des vieux secrets. Gilles était évidemment plus fait pour vivre avec eux qu’avec les Dunois et les La Hire. Ces magiciens que tous les biographes s’accordent à représenter, à tort, selon moi, comme de vulgaires parasites et de bas filous, ils étaient, en somme, les patriciens de l’esprit au quinzième siècle ! N’ayant point rencontré de place dans l’Eglise où ils n’eussent certainement accepté qu’une charge de Cardinal ou de Pape, ils ne pouvaient, en ces temps d’ignorance et de troubles, que se réfugier chez un grand seigneur comme Gilles, le seul même, à cette époque, qui fût assez intelligent et assez instruit pour les comprendre.
En résumé, mysticisme naturel d’une part et fréquentation quotidienne de savants hantés par le satanisme, de l’autre. Une misère grandissante à l’horizon et que les volontés du diable pouvaient conjurer, peut-être ; une curiosité ardente, folle, pour les sciences défendues ; tout cela explique que, peu à peu, à mesure que ses liaisons avec le monde des alchimistes et des sorciers se resserrent, il se jette dans l’occulte et soit mené par lui aux plus invraisemblables crimes.
Puis, au point de vue de ces égorgements d’enfants qui ne furent point immédiats, car Gilles ne viola et ne trucida les petits garçons qu’après que l’alchimie fût demeurée vaine, il ne diffère pas bien sensiblement des barons de son temps.
Il les dépasse en faste de débauches, en opulence de meurtres et voilà tout. Et c’est vrai cela ; lis Michelet. Tu y verras que les princes étaient à cette époque des carnassiers redoutables. Il y a là un sire De Giac qui empoisonne sa femme, la met à califourchon sur son cheval et l’entraîne, bride abattue, pendant cinq lieues, jusqu’à ce qu’elle meure. Il y en a un autre dont j’ai perdu le nom, qui empoigne son père, le traîne nu-pieds, dans la neige, puis le jette tranquillement jusqu’à ce qu’il crève, dans une prison en contre-bas. Et combien d’autres ! J’ai sans succès cherché si, pendant les batailles et les razzias, le Maréchal avait accompli de sérieux méfaits. Je n’ai rien découvert, sinon un goût déclaré pour la potence ; car il aimait à faire brancher tous les Français relaps, surpris dans les rangs des Anglais ou dans les villes peu dévouées au Roi.
Le goût de ce supplice, je le retrouverai, plus tard, au château de Tiffauges.
Enfin, pour terminer, ajoute à toutes ces causes un orgueil formidable, un orgueil qui l’incite à dire, pendant son procès : « Je suis né sous une telle étoile que nul au monde n’a jamais fait et ne pourra jamais faire ce que j’ai fait. »
Et, assurément, le Marquis de Sade n’est qu’un timide bourgeois, qu’un piètre fantaisie à côté de lui !
— Comme il est très difficile d’être un saint, dit des Hermies, il reste à devenir un satanique. L’un des deux extrêmes. — L’exécration de l’impuissance, la haine du médiocre, c’est peut-être l’une des plus indulgentes définitions du Diabolisme !
— Peut-être. — On peut avoir l’orgueil de valoir, en crimes, ce qu’un saint vaut en vertus. Tout Gilles de Rais est là !
— C’est égal, c’est un rude sujet à traiter.
— Évidemment ; Satan est terrible au Moyen Age, mais heureusement que les documents abondent.
— Et dans le moderne ? reprit des Hermies qui se leva.
— Comment dans le moderne ?
— Oui, dans le moderne où le satanisme sévit et se rattache par certains fils au Moyen Age.
— Ah ! çà, voyons, tu crois qu’à l’heure actuelle, on évoque le Diable, qu’on célèbre encore des messes noires ?
— Oui.
— Tu en es sûr ?
— Parfaitement.
— Tu me stupéfies ; — mais, saperlotte, sais-tu bien, mon vieux, que si je voyais de telles choses, cela m’aiderait singulièrement pour mon travail. Sans blague, tu crois à un courant démoniaque contemporain, tu as des preuves ?
— Oui, et de cela nous causerons plus tard, car aujourd’hui, je suis pressé. — Tiens, demain soir, chez Carhaix où nous dînons, comme tu sais. — Je viendrai te prendre. — Au revoir ; en attendant, médite ce mot que tu appliquais tout à l’heure aux magiciens : « s’ils étaient entrés dans l’Eglise, ils n’auraient voulu être que Cardinaux ou Papes », et songe en même temps combien est affreux le clergé de nos jours !
L’explication du Diabolisme moderne est là, en grande partie, du moins, car il n’y a pas, sans prêtre sacrilège, de Satanisme mûr.
— Mais enfin qu’est-ce qu’ils veulent, ces prêtres-là ?
— Tout, fit des Hermies.
— Comme Gilles de Rais alors, qui demandait au Démon « Science, Pouvoir, Richesse », tout ce que l’humanité envie, dans des cédules signées de son propre sang !
Al cap. V si fa menzione del De operatione daemonum di Psello. Si riferisce quanto tramanda Psello a proposito degli eretici Manichei. Si noti che anche nel Zanoni di Bulwer-Lytton viene citata l’opera di Psello. Il che denota che il libretto del filosofo bizantino doveva essere abbastanza noto negli ambienti occultistici del secolo scorso.
Le manichéisme, voyez-vous, a eu certainement du bon, puisqu’on l’a noyé dans des flots de sang ; à la fin du douzième siècle, on grilla des milliers d’Albigeois qui pratiquaient cette doctrine. Vous dire maintenant que les manichéens n’aient pas abusé de ce culte qu’ils rendaient surtout au Diable, je n’oserais le soutenir !
Ici, je ne suis plus avec eux, poursuivit-il doucement, après un silence, attendant que Mme Carhaix, qui s’était levée pour emporter les assiettes, allât chercher le boeuf.
— Pendant que nous sommes seuls, reprit-il en la voyant disparaître dans l’escalier, je puis vous raconter ce qu’ils faisaient. Un excellent homme appelé Psellus nous a révélé, dans un livre intitulé De operatione Daemonum, qu’ils goûtaient, au commencement de leurs cérémonies, des deux excréments et qu’ils mêlaient de la semence humaine à leurs hosties.
— Quelle horreur ! s’écria Carhaix.
— Oh ! comme ils communiaient sous les deux Espèces, ils faisaient mieux encore, reprit des Hermies. Ils égorgeaient des enfants, mélangeaient leur sang à de la cendre et cette pâte, délayée dans un breuvage, constituait le Vin Eucharistique.
— Eh ! nous voici en plein Satanisme, dit Durtal.
Cap. VI. Alchimia, pietra filosofale ed elixir di lunga vita come in Zanoni. L’interesse per l’alchimia e l’occulto è tanto vivo in questo romanzo quanto nel libro di Bulwer-Lytton.
Voyons, se dit-il, en roulant une cigarette, nous en sommes au moment où cet excellent Gilles de Rais commence la recherche du grand oeuvre. Il est facile de se figurer les connaissances qu’il possède sur la manière de transmuer les métaux en or.
L’alchimie était déjà très développée, un siècle avant qu’il ne naquît. Les écrits d’Albert le Grand, d’Arnaud de Villeneuve, de Raymond Lulle, étaient entre les mains des hermétiques. Les manuscrits de Nicolas Flamel circulaient ; nul doute que Gilles, qui raffolait des volumes étranges, des pièces rares, ne les ait acquis ; ajoutons qu’à cette époque, l’édit de Charles V, interdisant, sous peine de la prison et de la mort, les travaux spagiriques et que la bulle Spondent pariter quas non exhibent que le pape Jean XXII fulmina contre les alchimistes, étaient encore en vigueur. Ces oeuvres étaient donc défendues et par conséquent enviables ; il est certain que Gilles les a longuement étudiées, mais de là à les comprendre, il y a loin !
Ces livres constituaient, en effet, le plus incroyable des galimatias, le plus inintelligible des grimoires. Tout était en allégories, en métaphores cocasses et obscures, en emblèmes incohérents, en paraboles embrouillées, en énigmes bourrées de chiffres ! Et en voilà un exemple, se dit-il, en prenant, sur un des rayons de sa bibliothèque, un manuscrit qui n’était autre que celui de l’Asch-Mézareph, le livre du Juif Abraham et de Nicolas Flamel, rétabli, traduit et commenté par Eliphas Lévi.
Ce manuscrit lui avait été prêté par des Hermies qui l’avait découvert, un jour, dans d’anciens papiers.
Il y a, soi-disant, là-dedans, la recette de la pierre philisophale, du grand élixir de quintessence et de teinture. Les figures ne sont pas précisément claires, se dit-il, en feuilletant les dessins à la plume rehaussés en couleur représentant dans une bouteille, sous ce titre : « le coït chimique », un lion vert, la tête en bas dans un croissant de lune ; puis, dans d’autres flacons, c’étaient des colombes, tantôt s’élevant vers le goulot, tantôt piquant une tête vers le fond, dans un liquide noir ou ondulé de vagues de carmin et d’or, parfois blanc et granulé de points d’encre, habité par une grenouille ou une étoile, parfois aussi laiteux et confus ou brûlant en flammes de punch, à la surface.
Eliphas Lévi expliquait de son mieux le symbole de ces volatiles en carafes, mais il s’abstenait de donner la fameuse recette du grand magistère, continuait la plaisanterie de ses autres livres où, débutant sur un ton solennel, il affirmait vouloir dévoiler les vieux arcanes et se taisait, le moment venu, sous l’ineffable prétexte qu’il périrait, s’il trahissait d’aussi rugissants secrets.
Cette bourde, reprise par les pauvres occultistes de l’heure actuelle, aidait à masquer la parfaite ignorance de tous ces gens. En somme, la question est simple, se dit Durtal, en fermant le manuscrit de Nicolas Flamel.
Les philosophes hermétiques ont découvert, — et, après avoir longtemps bafouillé, la science contemporaine ne nie plus qu’ils aient raison ; — ils ont découvert que les métaux sont des corps composés et que leur composition est identique. Ils varient donc simplement entre eux, suivant les différentes proportions des éléments qui les combinent ; on peut, dès lors, à l’aide d’un agent qui déplacerait ces proportions, changer les corps, les uns en les autres, transmuer, par exemple, le mercure en argent et le plomb en or.
Et cet agent c’est la pierre philosophale, le mercure ; — non le mercure vulgaire qui n’est pour les alchimistes qu’un sperme métallique avorté, — mais le mercure des philosophes, appelé aussi le lion vert, le serpent, le lait de la Vierge, l’eau pontique.
Seulement la recette de ce mercure, de cette pierre des sages, n’a jamais été révélée ; — et c’est sur elle que le Moyen Age, que la Renaissance, que tous les siècles, y compris le nôtre, s’acharnent.
Et dans quoi ne l’a-t-on pas cherchée ? Se disait Durtal, en compulsant ses notes : dans l’arsenic, le mercure ordinaire, l’étain ; dans les sels de vitriol, de salpêtre et de nitre ; dans les sucs de la mercuriale, de la chélidoine et du pourpier ; dans le ventre des crapauds à jeun, dans les urines humaines, dans les menstrues et le lait des femmes !
Or, Gilles de Rais devait en être là de ses explorations. Il est bien évident qu’à Tiffauges, seul, sans l’aide d’initiés, il était incapable de tenter utilement des fouilles. A cette époque, le centre hermétique était, en France, à Paris où les alchimistes se réunissaient sous les voûtes de Notre-Dame et étudiaient les hiéroglyphes du charnier des Innocents et le portail Saint-Jacques de la Boucherie sur lequel Nicolas Flamel avait, avant sa mort, écrit en de kabbalistiques emblèmes la préparation de la fameuse pierre.
Le Maréchal ne pouvait se rendre à Paris sans tomber dans les troupes anglaises qui barraient les routes ; il choisit le moyen le plus simple, il appela les transmutateurs les plus célèbres du Midi et les fit amener, à grands frais, à Tiffauges.
D’après les documents que nous possédons, nous le voyons faire construire le fourneau des alchimistes, l’athanor, acheter des pélicans, des creusets et des cornues. Il établit des laboratoires dans l’une des ailes de son château et il s’y enferme avec Antoine de Palerme, François Lombard, Jean Petit, orfèvre de Paris, qui s’emploient, jours et nuits, à la coction du grand oeuvre.
Rien ne réussit ; à bout d’expédients, ces hermétistes disparaissent et c’est alors, à Tiffauges, un incroyable va-et-vient de souffleurs et d’adeptes. Il en arrive de tous les points de la Bretagne, du Poitou, du Maine, seuls ou escortés de noueurs d’aiguillettes et de sorcières. Gilles de Sillé, Roger de Bricqueville, cousins et amis du maréchal, parcourent les environs, rabattent le gibier vers Gilles, tandis qu’un prêtre de sa chapelle, Eustache Blanchet, part en Italie, où les manieurs de métaux abondent.
En attendant, Gilles de Rais, sans se décourager, continue ses expériences qui, toutes, ratent ; il finit par croire que décidément les magiciens ont raison, qu’aucune découverte n’est, sans l’aide de Satan, possible.
Cap. IX. Si accenna al sigillo di Salomone. Evidentemente era nota in ambiente occultistico la leggenda dell’anello magico di Salomone. Anche Anton Giulio Barrili in Semiramide ( 1873 ) e ne L’anello di Salomone ( 1883 ) rivela una certa curiosità per l’occulto nell’episodio del rito di iniziazione in Semiramide e nella leggenda di Salomone mago.
Au regard de Durtal, qui fixait ces doigts, il sourit :
— Vous examinez, monsieur, ces bijoux de prix. Ils sont formés par trois métaux, l’or, le platine et l’argent. Cette bague-ci porte un scorpion, le signe sous lequel je suis né ; celle-là, avec ses deux triangles accouplés, l’un, la tête en haut et l’autre, la pointe en bas, reproduit l’image du macrocosme, du sceau de Salomon, du grand pantacle ; quant à cette petite que vous voyez, poursuivit-il, en montrant une bague de femme enchassée d’un minime saphir entre deux roses, c’est un souvenir qui me fut offert par une personne dont je voulus bien tirer l’horoscope.
Cap. XIX. Celebrazione della messa nera ad opera del satanico canonico Docre.
Un enfant de choeur, vêtu de rouge, s’avança vers le fond de la chapelle et alluma une rangée de cierges. Alors l’autel apparut, un autel d’église ordinaire, surmonté d’un tabernacle au-dessus duquel se dressait un Christ dérisoire, infâme. On lui avait relevé la tête, allongé le col et les plis peints aux joues muaient sa face douloureuse en une gueule tordue par un rire ignoble. Il était nu, et à la place du linge qui ceignait ses flancs, l’immondice en émoi de l’homme surgissait d’un paquet de crin. Devant le tabernacle, un calice couvert de la pal était posé ; l’enfant de choeur lissait avec ses mains la nappe de l’autel, ginginait les hanches, se haussait sur un pied, comme pour s’envoler, jouait les chérubins, sous prétexte d’atteindre les cierges noirs dont l’odeur de bitume et de poix s’ajoutait maintenant aux pestilences étouffées de cette pièce.
Durtal reconnut sous la robe rouge le « petit Jésus » qui gardait la porte quand il entre et il comprit le rôle réservé à cet homme dont la sacrilège ordure se substituait à cette pureté de l’enfance que veut l’Église.
Puis, un autre enfant de choeur encore plus hideux s’exhiba. Efflanqué, creusé par les toux, réparé par des carmins et des blancs gras, il boitillait, en chantonnant. Il s’approcha de trépieds qui flanquaient l’autel, remua les braises accouvies dans les cendres et il y jeta des morceaux de résine et des feuilles.
Durtal commençait à s’ennuyer quand Hyacinthe le rejoignit ; elle s’excusa de l’avoir laissé si longtemps seul, l’invita à changer de place et elle le conduisit, derrière toutes les rangées de chaises, très à l’écart.
— Nous sommes donc dans une vraie chapelle ? demanda-t-il.
— Oui, cette maison, cette église, ce jardin que nous avons traversé, ce sont les restes d’un ancien couvent d’Ursulines, maintenant détruit. L’on a pendant longtemps resserré des fourrages dans cette chapelle ; la maison appartenait à un loueur de voitures qui l’a vendue, tenez, à cette dame, — et elle désignait une grosse brune qu’avait entr’aperçue Durtal.
— Et elle est mariée, cette dame ?
— Non, c’est une ancienne religieuse qui fut jadis débauchée par le chanoine Docre.
— Ah ! et ces messieurs qui paraissent vouloir rester dans l’ombre ?
— Ce sont des Sataniques... il y en a un parmi eux qui fut professeur à l’école de Médecine ; il a chez lui un oratoire où il prie la statue de la Vénus Astarté, debout sur un autel.
— Bah !
— Oui ; — il se fait vieux, et ces oraisons démoniaques décuplent ses forces qu’il use avec des créatures de ce genre ; — et elle désigna, d’un geste, les enfants de choeur.
— Vous me garantissez la véracité de cette histoire ?
— Je l’invente si peu que vous la trouverez racontée tout au long dans un journal religieux les Annales de la Sainteté. Et, bien qu’il fût clairement désigné dans l’article, ce monsieur n’a pas osé faire poursuivre ce journal ! — Ah çà, qu’est-ce que vous avez ? Reprit-elle, en le regardant.
— J’ai... que j’étouffe ; l’odeur de ces cassolettes est intolérable !
— Vous vous y habituerez dans quelques secondes.
— Mais qu’est-ce qu’ils brûlent pour que ça pue comme cela ?
— De la rue, des feuilles de jusquiame et de datura, des solanées sèches et de la myrrhe ; ce sont des parfums agréables à Satan, notre maître !
Elle dit cela de cette voix gutturale, changée, qu’elle avait, à certains instants, au lit.
Il la dévisagea ; elle était pâle ; la bouche était serrée, les yeux pluvieux battaient.
— Le voici, murmura-t-elle, tout à coup, pendant que les femmes couraient devant eux, allaient s’agenouiller sur des chaises.
Précédé des deux enfants de choeur, coiffé d’un bonnet écarlate sur lequel se dressaient deux cornes de bison en étoffe rouge, le chanoine entra.
Durtal l’examina, tandis qu’il marchait à l’autel. Il était grand mais mal bâti, tout en buste ; le front dénudé se prolongeait sans courbe en un nez droit ; les lèvres, les joues étaient hérissées de ces poils durs et drus qu’ont les anciens prêtres qui se sont longtemps rasés ; les traits étaient sinueux et gros ; les yeux en pépins de pommes, petits, noirs, serrés près du nez, phosphoraient. Somme toute, sa physionomie était mauvaise et remuée, mais énergique et ces yeux durs et fixes ne ressemblaient pas à ces prunelles fuyantes et sournoises que s’était imaginé Durtal.
Il s’inclina solennellement devant l’autel, monta les gradins, et commença sa messe.
Durtal vit alors qu’il était, sous les habits du sacrifice, nu. Ses chairs refoulées par des jarretières attachées haut, apparaissaient au-dessus de ses bas noirs. La chasuble avait la forme ordinaire des chasubles, mais elle était du rouge sombre du sang sec et, au milieu, dans un triangle autour duquel fusait une végétation de colchiques, de sabines, de pommes-vinettes et d’euphorbes, un bouc noir, debout, présentait les cornes.
Docre faisait les génuflexions, les inclinations médiocres ou profondes, spécifiées par le rituel ; les enfants de choeur, à genoux, débitaient les répons latins, d’une voix cristalline qui chantait sur les fins de mots.
— Ah çà, mais c’est une simple messe basse, dit Durtal à Mme Chantelouve.
Elle fit signe que non. En effet, à ce moment, les enfants de choeur passèrent derrière l’autel, rapportèrent, l’un, des réchauds de cuivre, l’autre, des encensoirs qu’ils distribuèrent aux assistants. Toutes les femmes s’enveloppèrent de fumée ; quelques-unes se jetèrent la tête sur les réchauds, humèrent l’odeur à plein nez, puis, défaillantes, se dégrafèrent, en poussant des soupirs rauques.
Alors le sacrifice s’interrompit. Le prêtre descendit à reculons les marches, s’agenouilla sur la dernière et, d’une voix trépidante et aiguë, il cria :
— « Maître des Esclandres, Dispensateur des bienfaits du crime, Intendant des somptueux péchés et des grands vices, Satan, c’est toi que nous adorons, Dieu logique, Dieu juste !
( … )
— Amen, crièrent les voix cristallines des enfants de choeur.
Durtal écoutait ce torrent de blasphèmes et d’insultes ; l’immondice de ce prêtre le stupéfiait ; un silence succéda à ces hurlements ; la chapelle fumait dans la brume des encensoirs. Les femmes jusqu’alors taciturnes s’agitèrent, alors que, remonté à l’autel, le chanoine se tourna vers elles et les bénit, de la main gauche, d’un grand geste.
Et soudain les enfants de choeur agitèrent des sonnettes.
Ce fut comme un signal ; des femmes tombées sur les tapis se roulèrent. L’une sembla mue par un ressort, se jeta sur le ventre et rama l’air avec ses pieds ; une autre subitement atteinte d’un strabisme hideux, gloussa, puis, devenue aphone, resta, la mâchoire ouverte, la langue retroussée, la pointe dans le palais, an haut ; une autre, bouffie, livide, les pupilles dilatées, se renversa la tête sur les épaules puis la redressa d’un jet brusque, et se laboura en râclant la gorge avec ses ongles ; une autre encore, étendue sur les reins, défit ses jupes, sortit une panse nue, météorisée, énorme, puis se tordit en d’affreuses grimaces, tira, sans pouvoir la rentrer, une langue blanche déchirée sur les bords, d’une bouche en sang, hersée de dents rouges.
Du coup, Durtal se leva pour mieux voir, et distinctement, il entendit et il aperçut le chanoine Docre.
Il contemplait le Christ qui surmontait le tabernacle, et, les bras écartés, il vomissait d’effrayants outrages, gueulait, à bout de force, des injures de cocher ivre. Un des enfants de choeur s’agenouilla devant lui, en tournant le dos à l’autel. Un frisson parcourut l’échine du prêtre. D’un ton solennel, mais d’une voix clignotante, il dit : « Hoc est enim corpus meum », puis, au lieu de s’agenouiller, après la consécration, devant le précieux corps, il fit face aux assistants et il apparut, tuméfié, hagard, ruisselant de sueur.
Il titubait entre les deux enfants de choeur qui, relevant la chasuble, montrèrent son ventre nu, le tinrent, tandis que l’hostie, qu’il ramenait devant lui, sautait, atteinte et souillée, sur les marches.
Alors Durtal se sentit frémir, car un vent de folie secoua la salle. L’aura de la grande hystérie suivit le sacrilège et courba les femmes ; pendant que les enfants de choeur encensaient la nudité du pontife, des femmes se ruèrent sur le Pain Eucharistique et, à plat ventre, au pied de l’autel, le griffèrent, arrachèrent des parcelles humides, burent et mangèrent cette divine ordure.
Une autre, accroupie sur un crucifix, éclata d’un rire déchirant puis cria : mon prêtre, mon prêtre ! Une vieille s’arracha les cheveux, bondit, pivota sur elle-même, se ploya, ne tint plus que sur un pied, s’abattit près d’une jeune fille qui, blottie le long d’un mur, craquait dans des convulsions, bavait de l’eau gazeuse, crachait, en pleurant, d’affreux blasphèmes. Et Durtal, épouvanté, vit, dans la fumée, ainsi qu’au travers d’un brouillard, les cornes rouges de Docre qui, maintenant assis, écumait de rage, mâchait des pains azymes, les recrachait, se tordait avec, en distribuait aux femmes ; et elles les enfouissaient en bramant, ou se culbutaient, les unes sur les autres, pour les violer.
C’était un cabanon exaspéré d’hospice, une monstrueuse étuve de prostituées et de folles. Alors, tandis que les enfants de choeur s’alliaient aux hommes, que la maîtresse de la maison, montait, retroussée, sur l’autel, empoignait, d’une main, la hampe du Christ et ramenait de l’autre le calice sous ses jambes nues, au fond de la chapelle, dans l’ombre, une enfant, qui n’avait pas encore bougé, se courba tout à coup en avant et hurla à la mort, comme une chienne !
Excédé de dégoût, à moitié asphyxié, Durtal voulut fuir. Il chercha Hyacinthe mais elle n’était plus là. Il finit par l’apercevoir auprès du chanoine ; il enjamba les corps enlacés sur les tapis et s’approcha d’elle. Les narines frémissantes, elle humait les exhalaisons des parfums et des couples.
— L’odeur du sabbat ! lui dit-elle, à mi-voix, les dents serrées.
— Ah çà, venez-vous, à la fin ?
Elle sembla s’éveiller, eut un moment d’hésitation, puis sans rien répondre, elle le suivit.
Cap. XX. Teurgia. Il dottor Johannès combatte con l’aiuto degli spiriti buoni l’incantesimo operato dal malvagio Docre contro l’astrologo Gévingey.
Cap. XXI. Si fa menzione del romanzo di Bulwer-Lytton, Zanoni ( 1842 ), a proposito dello spiritismo.